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4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 11:28

ABBE GILBERT YAMBA-CHEIKFITANEWS DSCF7222

Bruxelles, le 30 mai 2012

                                                                                                     
                A Monsieur François-Xavier de DONNEA
        Ministre d’Etat et Président de la
        Commission des Relations extérieures
                Palais de la Nation 2
        1008 Bruxelles
        
Objet :   Brève description de la vie des Congolais (RDC)
             au Président de la Commission des 
             Relations extérieures et demande de votre  implication.

Monsieur le Président, 

En fonction de ma vocation comme prêtre, je me sens dans l’obligation morale de vous adresser cette lettre à cause de la souffrance du peuple congolais, car cette souffrance a atteint son paroxysme. Il m’est pratiquement impossible de me taire face à ce génocide silencieux, qui se perpètre   en République démocratique du Congo.
Pour la première fois, vous m’aviez lu à travers les copies des courriers que j’avais adressés au Ministre des Affaires Etrangères, Monsieur Didier Reynders, concernant la situation qui prévaut actuellement en  RDCongo après les élections. Aujourd’hui, je m’adresse directement à vous en votre qualité de  Président de la Commission des Relations extérieures au Parlement, afin de   vous décrire brièvement la vie des Congolais, tant pour ceux de la diaspora que pour ceux qui sont au pays. Car, selon toute évidence,  les versions qui vous sont données sur la vie des  Congolais par les autorités de Kinshasa  et par le Ministre Didier  Reynders lors de ses différentes  déclarations au Parlement ne correspondent pas aux réalités des citoyens
Grâce à la Communauté internationale et à un considérable appui de la Belgique, nous avons eu l’occasion d’organiser en 2006 l’élection présidentielle qui avait amené Monsieur Joseph Kabila à la magistrature suprême. Nous avions alors pensé tous que cette élection allait apporter un changement au pays, c’est-à-dire assurer un bien-être à la population. Mais, hélas !, nous constatons que plus les temps avancent, plus la vie des citoyens congolais ne fait que se détériorer. La situation du Congo se dégrade au jour le jour, à l’exception de quelques aménagements qui ont été apportés sur les grandes artères de la capitale Kinshasa et sur quelques kilomètres  de la route du Bas-Congo et de Bandundu. 
Certes, des institutions ont été mise en place : la présidence, le sénat et le parlement. Néanmoins, force est de constater que ces institutions ne sont pas au service de la population, mais à celui d’une catégorie de gens. Et les institutions de niveau local, en principe plus proches du peuple, ont été léguées aux oubliettes.
Le 28 novembre  dernier ont été organisées des élections en RDC. Les Congolais s’étaient rendus massivement aux urnes pour voter. Comme le Cardinal Monsengwo l’avait affirmé, le choix du peuple congolais était tombé sur Monsieur Etienne Tshisekedi. Malheureusement, les résultats publiés n’ont pas reflété la volonté de ce peuple. Depuis la publication de ces résultats,  les Congolais manifestent presque tous les jours, sur tous les continents, pour réclamer la vérité des urnes. Ils s’étaient investis pour avoir un vrai changement au pays, afin que celui-ci arrive à redémarrer sur de nouvelles bases et avec de nouveaux dirigeants. Un jeune répondant au nom de Cédric s’était immolé à Boma  après la publication des résultats, car ceux-ci ne reflétaient pas la volonté du peuple. Toutes ces manifestations ne constituent pas une révolution. Elles expriment au contraire la souffrance et la frustration d’un peuple spolié. 
Actuellement, ce sont les Congolais de la diaspora qui viennent  au secours de leurs familles en tout et pour tout. Ici en Europe, la majorité de la population gagne en moyenne  1300 euros par mois. Sur les 1300 euros, chacun doit payer son loyer, ses charges, sa nourriture, ses soins, son transport, etc. Cependant qu’au Congo, il n’y a plus de travail pour beaucoup ; et ceux qui travaillent ont accumulé d’importants arriérés des salaires, tant et si bien que l’humour congolais appelle ces salaires SIDA, pour Salaire Insuffisant Difficilement Acquis. C’est ainsi qu’avec ses 1300 euros perçus en Belgique, le Congolais de la diaspora doit s’occuper de la scolarité des frères, des sœurs,  des cousins et  des amis. 
Cette situation amène aujourd’hui beaucoup à vivre dans la précarité à cause de multiples charges qu’ils ont au Congo. Ceci prouve que ce sont les Congolais de la diaspora qui font le travail du gouvernement congolais à la fois sur les plans social, économique, sanitaire, etc. Et les institutions mises en place au Congo grâce aux élections de 2006 se complaisent dans cette situation. Beaucoup de membres de cette diaspora ont à l’heure actuelle des problèmes d’hypertension. Ce qui  amène plusieurs d’ entre nous à faire des AVC à cause des soucis qu’ils ont. Lorsqu’une personne  touche 1300 euros et  doit s’occuper d’une  dizaine ou d’une vingtaine de personnes, cela ne doit pas être facile à supporter. 
Sur le plan académique et scolaire, il faut avoir un membre de famille en Europe pour étudier dans une bonne institution. Car les institutions de l’Etat sont dans un état de délabrement total. Nous prendrions le cas de l’université de Kinshasa, Ancien Lovanium, ce fleuron du savoir-faire belge, où quasiment plus rien n’existe : laboratoires, bibliothèques, auditoires propres, sanitaires convenables, etc. Les syllabus des cours sont  vendus par les professeurs, et les étudiants qui ne peuvent pas se les procurer sont d’avance condamnés à échouer, quel que soit leur degré d’application.  Cela est-il encore possible  dans  ce siècle  où nous sommes ? Oui, au Congo, cela est encore possible. La bibliothèque n’existe presque pas et les étudiants sont obligés de se débrouiller comme ils peuvent pour étudier. 
Actuellement, beaucoup de familles ne savent plus faire étudier tous leurs enfants d’un coup. Les enfants étudient à tour de rôle : cette année, c’est le tour des garçons d’aller à l’école et l’année prochaine, c’est celui des filles d’y aller.  Voilà, une des manières de brader l’avenir de tout un pays : c’est de sacrifier la jeunesse. 
Sur le plan de la santé publique, c’est la même chose. Pour se faire soigner dans une clinique assez  bonne, il faut avoir un membre  de sa famille en Europe. Ceux qui ont l’argent s’offrent un ticket pour aller se faire soigner en Europe, en Amérique, en Afrique du Sud ou en Inde. Malheureusement, tous les Congolais ne peuvent pas se permettre un tel luxe. Comment serait-il possible que quelqu’un qui a du mal à se procurer un comprimé d’aspirine puisse acheter un ticket d’avion pour aller se faire soigner en Europe ou ailleurs ? C’est ce qui explique le grand taux de mortalité aujourd’hui au Congo. Quelqu’un qui est impayé durant des mois, voire des années, ne sait pas se faire soigner le jour où il tombe malade. Il ne connaît qu’un sort : mourir. 
Présentement, la majorité des enfants congolais naissent, grandissent et meurent sans  avoir connu le bien-être, l’épanouissement, la jouissance et l’aisance. Ils sont condamnés à mort dès leur naissance et passent toute leur vie dans le couloir de la mort qu’est le Congo d’aujourd’hui. Beaucoup se disent que Dieu ne les aime pas ; ou tout simplement, qu’Il est injuste. Qu’ont fait les Congolais pour mériter un tel sort ? Le Congo est-il maudit ?, s’exclament-ils souvent. 
Il y a  quelques mois, la R.T.B.F. a diffusé un documentaire sur la lèpre au Congo. Une maladie qui est déjà éradiquée selon les critères de l’OMS. Mais au Congo, elle continue encore à faire des ravages sur les enfants et les adultes, au même titre que la maladie du sommeil jadis éradiquée grâce à l’effort, faut-il le reconnaître ?, des Belges. Voilà, deux exemples illustratifs du niveau  sanitaire des Congolais aujourd’hui. 
L’électricité  n’existe presque pas au Congo, en  commençant par les grandes villes comme Kinshasa. A l’intérieur du pays, il y en a qui n’ont jamais connu la lumière électrique. Les femmes recourent encore au bois de chauffe pour leurs besoins ménagers de cuisson. Il existe un système que les Congolais appellent le  délestage. Il consiste à donner du courant électrique  une ou deux fois par semaine, à tour de rôle des quartiers. Seuls, ceux qui ont de l’argent et que l’on appelle les  « nouveaux riches », savent acheter des groupes électrogènes capables de tourner 24h /24h.
Quant à l’eau du robinet, elle  arrive au plus deux fois par semaine dans certains quartiers ; tandis que dans d’autres on peut passer un à deux mois sans en  puiser une goutte. Quand, elle arrive à couler, c’est à des heures précises de la nuit, les mamans et les enfants sont obligés d’aller faire des files pour avoir quelques goûtes. Les pauvres mamans sont obligées d’aller au fleuve et dans des rivières environnantes où l’eau n’est pas potable. Ceci provoque chez beaucoup de personnes des maladies hydriques, dont les plus dangereuses demeurent la fièvre typhoïde et le choléra.
Au niveau alimentaire, la majorité des familles congolaises mangent deux ou trois fois par semaine. Aussi le délestage  ne fonctionne-t-il pas seulement pour l’électricité, mais il est aussi en alimentation. A l’instar de ce qui se passe pour l’instruction des enfants, les jours sont répartis dans la famille : un jour, ce sont les filles qui doivent manger, et le jour suivant, c’est le tour des garçons de manger.
Au niveau sécuritaire, c ‘est encore pire. Alors que chaque Etat a la responsabilité de protéger sa population civile, au Congo, on assiste juste au contraire. Au lieu de la protéger, l’Etat matraque plutôt sa population, la torture et l’humilie.  C’est ainsi que, depuis la proclamation des résultats électoraux de 2011. C’est tous les jours qu’on enregistre des enlèvements, des tueries, des assassinats ciblés, des tortures dans des cellules secrètes. Les femmes et les filles sont violentées et violées, y compris des fillettes de moins de 9 ans ! Tout ceci se passe dans un silence absolu, sans que la presse tant nationale qu’internationale n’en parle. En ce moment d’ailleurs, 66 mille Congolais dans l’Est ont été chassés  de leurs terres et sont sur la route de l’exode.
Plusieurs Congolais ont été tués avant, pendant et après les élections par la milice soldatesque du régime de Monsieur Joseph Kabila. Tout ceci s’est passé au vu et au su des médias tant nationaux qu’internationaux. Ces tueries n’ont jamais été condamnées ni par les autorités de la place, ni par la Communauté Internationale. Les différents rapports des structures qui s’occupent des droits de l’homme en RDC avaient dénoncé cette situation catastrophique. Mais, elles n’ont  jamais été entendues. 
C’est avec regret et étonnement que nous venons d’apprendre  que le Ministre Didier Reynders a fait  savoir qu’il ne se rendrait pas au Championnat d’Europe de football en Ukraine pour ne pas apporter une caution politique au  Régime Ukrainien à cause du mauvais traitement qui est réservé à l’ex-Première  ministre Loulia  Timochenko.
Monsieur le Président,  
Cette prise de position nous inspire la réflexion suivante :il n’y a donc que la vie de Madame Timochenko  qui est soit  importante et  humaine  par rapport à  celle de  tous ces Congolais qui sont tués à chaque minute au Congo-Kinshasa. Cette vie est-elle plus importante que celle de tous ces Congolais qui croupissent dans les différentes prisons du Congo et en particulier à celle  de Makala, à Kinshasa, qui est aujourd’hui comparable à un mouroir ? La vie des Congolais n’a-t-elle pas aussi de prix pour qu’elle soit aussi défendue et protégée ?
Malgré toutes ces  irrégularités  qui ont été dénoncées, les manifestations des Congolais  qui continuent  à travers le monde, et en Belgique en particulier, le Ministre Didier Reynders  est tout de même parti au Congo  pour rencontrer les autorités congolaises. S’il  est allé au Congo pour rencontrer les autorités, pourquoi ne partirait-il pas aussi en Ukraine pour rencontrer les autorités qui ont fait incarcérer Madame Loulia  et qui  contribuent à sa  maltraitance ?
Si actuellement le peuple  congolais s’est  mis  debout, ce n’est pas par refus d’un dirigeant qui pourrait avoir des origines étrangères ainsi que tente de le faire créditer une certaine propagande. Ces différentes manifestations, qui ne cessent de croître, sont le signe d’une souffrance qui a dépassé les limites et d’une certaine frustration. Nous vivons aujourd’hui dans un monde planétaire. Un monde qui est devenu un grand village. Tous les citoyens du monde sont appelés à collaborer dans le cadre de la fraternité universelle et de la complémentarité. Cette fraternité et cette complémentarité doivent se faire dans un respect mutuel et dans la justice , dans l’égalité et dans la transparence.
Monsieur le Président, 
Voici en quelques lignes, une brève, mais, vraie description de  la situation en  RDCongo. Des exemples de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les Congolais aujourd’hui sont multiples.  Si je viens à vous aujourd’hui, c’est d’abord par rapport aux  raisons historiques que nous avons avec la Belgique. Ensuite, pour le poids que vous représentez sur la scène politique belge. Nombreux Congolais portent sur votre compte témoignage du fait que lors de votre mandat comme ministre de la Coopération du gouvernement belge, vous aviez été le premier à conférer à la Coopération belgo-congolaise une dimension qui fit que les actions menées par la Belgique profitent effectivement au peuple zaïrois. A ce titre, notre démarche se  justifie, car nous savons que l’amélioration du sort des Congolais n’est pas  quelque chose qui vous laisse indifférent. 
Aussi est-ce pourquoi nous venons dire que  les enfants congolais, les femmes congolaises, les hommes congolais  veulent aussi jouir de la vie comme tous les êtres humains qui sont éparpillés à travers la planète. 
J’espère que cette  lettre,  écrite par un pauvre prêtre n’ayant aucune ambition politique, si ce n’est que celle de voir les Congolais être respectés et jouir  aussi de leurs droits, trouvera un écho  favorable auprès de la Commission dont vous avez la charge au sein de la Chambre des représentants. 
Je reste prêt à venir vous rencontrer pour vous parler de vive voix, si tel est votre souhait.
Veuillez, agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Abbé Gilbert YAMBA, 

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